Entretien avec un vamp... Heuuu avec Waldemar Kita dans France Football - 8 mai 2012
Vous pensiez avoir tout vu ? Vous pensiez qu'il avait tout dit, tout fait ? Alors accrochez-vous, il repousse les limites.
Entretien Mardi 8 mai 2012 France Football
KITA «Si je m’en vais, Nantes, c’est fini »
CE N’EST PAS ENCORE CETTE SAISON que le FC Nantes retrouvera la Ligue 1. Son président en est persuadé : s’il y a échec, c’est parce qu’il n’a pas le pouvoir sportif.
DAVE APPADOO OLIVIER BOSSARD
dappadoo@francefootball.fr obossard@francefootball.fr
UNE RUE CHIC DU XVIe ARRONDISSEMENT DE PARIS. Waldemar Kita reçoit dans ses bureaux. Classes. Lookés avec goût. Des moulures au plafond, un large canapé en cuir marron dans un coin, une photo de Lech Walesa dans un autre. Le président du FC Nantes s’installe en face. Et s’étonne de voir deux enregistreurs posés devant lui. «C’est pour quoi ça ? Avec votre matériel, ça fait détective privé. On enregistre tout aujourd’hui. Mais, rassurez-vous, je ne me focalise pas dessus.» Effectivement. Le président va se livrer pendant plus de deux heures sur sa méthode souvent critiqué. Sans langue de bois. Du Kita dans le texte.
Président, vous vous méfiez de la presse ?
Le problème, c’est qu’elle est provocatrice. Surtout la presse locale. Pendant quatre ans, elle m’a cassé. Sans que je comprenne pourquoi, d’ailleurs.
Sérieusement, vous n’avez pas compris ?
Quand des gens vous disent: “Ça ne marchera pas pour vous, à cause de ça, ça et ça”, tu comprends vite. Après seulement trois mois, je me faisais traiter de tous les noms et la presse le répétait. Ce qui est drôle, c’est qu’après cinq ans c’est en train de changer. Désormais, mon fils et moi sommes en contact direct avec les médias et ça a l’air de se passer beaucoup mieux.
Vous avez peut-être également soigné votre communication ?
Non. On peut corriger des petits trucs mais pas changer un type de cinquante piges. Moi, je m’intéresse beaucoup à la psychologie. Analyser les gens, c’est vachement important. Alors, si t’as besoin de je ne sais combien d’années pour comprendre qui est l’autre, ça ne va pas du tout. Le type n’a pas changé, pourtant.
Vous n’avez pas changé depuis votre arrivée ?
Je suis le même. Lors de mon arrivée à Nantes, j’avais annoncé mon projet sur cinq ans. Tout s’est passé comme je l’avais dit. Tout, sauf la seule chose que je ne maîtrise pas : Nantes en L1. Mais le centre de formation, qui est aujourd’hui le deuxième de France alors qu’il était vingtième il y a cinq ans, personne n’en parle jamais. Au contraire, on me jette à la figure les valeurs du club, de la formation… Mais qu’est-ce que je fais depuis cinq ans? J’ai installé un nouveau staff pour la formation alors qu’avant c’était la guerre entre les éducateurs, j’ai changé l’entraîneur de la réserve car c’était la guerre avec l’équipe première, j’ai mis en place un nouveau staff médical, j’ai réorganisé tout l’administratif, le financier, le juridique. Le seul échec, c’est le domaine dans lequel je ne peux pas vraiment mettre mon nez : le sportif. Dès que je m’en mêle, je me fais bousiller.
Parce que ce n’est pas de votre compétence…
J’ai joué jusqu’à trente-cinq ans. J’ai un diplôme d’entraîneur. Je connais les hommes, le vestiaire, son odeur, la préparation de chaque joueur… La tactique? J’ai des idées, faut pas me prendre pour un imbécile. Certains entraîneurs qui ont réussi ne sont pas d’anciens footeux. Guy Roux n’a joué qu’en DH, Mourinho n’a pas beaucoup joué non plus.
Mais vous, vous n’êtes pas au contact quotidien avec ce travail-là…
Vous n’avez pas besoin d’être à la culotte (sic) pour savoir ce qui va ou pas. Vous croyez que, dans mes sociétés, j’avais la possibilité d’être vingt-quatre heures sur vingt-quatre partout?
Mais est-ce qu’un club de foot est une entreprise comme un autre ?
Non, car la matière première, c’est le joueur, c’est forcément plus complexe. Mais quand vous avez une équipe de commerciaux, ce n’est pas très différent… Dans le football, je n’ai pas la maîtrise. Alors que, dans les affaires, j’ai monté une boîte avec une seule personne et, vingt ans plus tard, 470 employés, et le produit esthétique numéro un au monde que j’ai fabriqué (NDLR: Juvéderme). C’est une réussite, non? Et pourtant, dans le football, au niveau de l’équipe première, ça ne marche pas aussi bien. Un vestiaire, c’est un État dans l’État. Le président n’a rien à dire la plupart du temps. C’est grave, quand même. Dans quelle activité un cadre supérieur, comme l’entraîneur, ne respecte pas son président ? Aucune !
C’est vraiment grave que vous ne soyez pas autorisé à vous parler librement dans le vestiaire ?
Il paraît que ça perturbe! Alors que, dans une boîte, les gens ne demandent que ça, que le président s’exprime. Ça les rassure, même. Un entraîneur pourrait se servir de la parole d’un président pour remonter les troupes quand ça va moins bien.
Ces entraîneurs qui ne vous respectent pas, ce sont pourtant vos choix…
Il y a un groupe de travail qui décide. Et si vous êtes un peu démocratique et libéral, quand la majorité veut quelque chose, vous acceptez. Même si vous n’êtes pas d’accord. Or, moi, je ne suis pas un dictateur. Ce qui est emmerdant, c’est de voir que toutes les idées qu’on avait, mais que l’on n’a pas pu imposer, tu as la preuve plus tard que c’était la bonne chose. Et là, tu fais quoi, avec ton entraîneur? Si tu lui rentres dedans, toute la presse dit que c’est Kita qui veut faire l’équipe. Mais si tu laisses filer, tu continues à te casser la gueule. Ça me coûte car, même si je ne suis pas quelqu’un d’intelligent, je suis un garçon logique.
Quel serait votreentraîneur idéal, alors ? Quelqu’un qui vous laisse entrer dans le vestiaire ?
Arrêtons de faire une fixation sur ce rapport entre président et entraîneur. C’est stupide. Il y a un président qui gère et un entraîneur qui est un employé. À la base, l’employé doit écouter ce qu’on lui dit, c’est tout. Un bon entraîneur, c’est celui qui sait écouter et qui sait apprendre et applique une méthode dans l’intérêt du club...
Quand vous êtes montés, en 2007, vous avez déclaré “Jamais je ne ferai confiance à un entraîneur…”
(Il coupe.) Et alors ? Qu’est-ce qu’il y a de méchant? Je persiste et signe.
Mais c’est terrible de dire ça !
Pourquoi ? Dites-le moi! Je vous dis que je constate un manque de qualité de psychologie, de pédagogie, dans la gestion humaine, et vous osez me dire que c’est terrible ce que je dis ! Mais je suis dans ma logique. C’est en ce sens que je ne peux pas faire confiance. Ils n’ont pas la formation adéquate. Regardez Blanc: il a fait une école de management (le CDES, à Limoges). J’encourage tout le monde à le faire. Il faut apprendre d’autres choses que le football.
Vous avez eu sept entraîneurs en cinq ans. La vérité, c’est que vous êtes mal conseillé…
Mais je vous signale qu’il n’y a plus d’entourage, il n’y a que mon fils cette saison. On me prend pour un imbécile qui ne comprend rien au football. Le président n’est là que pour payer et serrer des mains ! Moi, je suis dans le foot pour autre chose que le business et la représentation. J’aime le football, les footballeurs.
Vous n’auriez pas rêvé d’une présidence à la Claude Bez ou à la Bernard Tapie ?
Je n’en rêve pas, mais je pense que c’est la meilleure des solutions. Ce sont eux qui ont gagné le plus. C’est la vérité. Aulas a aussi réussi parce qu’il a un type très fidèle qui s’appelle Lacombe et son travail est exemplaire aujourd’hui.
Et vous, vous n’avez pas trouvé votre Lacombe…
Voilà, exactement. Je suis très agréablement surpris par l’organisation qu’Aulas a mise en place à Lyon. Mais la façon dont on le traite, c’est scandaleux… Au contraire, le mec qui réussit, on devrait en faire un exemple. On parle toujours des poètes quand ils sont morts. C’était des pauvres mecs qui étaient dans leur chambre avec le choléra. C’est une fois mort qu’on reconnaît votre talent.
Et vous, quelle image aimeriez-vous laisser à Nantes ?
Pff ! (Il hésite.) Quelqu’un qui aura aimé ce club. Quand on fait quelque chose, il faut l’aimer. Le jour où je partirai, j’en aurai gros sur la patate, mais c’est comme ça. C’est la vie. Le FC Nantes est une maîtresse. Mais avec du recul, je suis un peu déçu de moi-même. J’aurais dû être plus ferme. J’aurais dû continuer à avancer avec mes idées et faire comme je voulais faire. Autour de moi, on me disait que ce n’était pas possible.
Que pensez-vous de Landry Chauvin ?
Je ne pense plus. Il a un contrat, il est là pour la durée. Au club, ils le voulaient, ils l’ont eu.
Vous avez l’air presque satisfait de pouvoir dire: “J’ai laissé faire, et ils ont raté…”
Céder à l’autosatisfaction parce qu’on n’a pas réussi, ce serait malheureux. Je ne suis pas suicidaire. C’est juste dommage qu’on ne m’ait pas plus écouté et qu’on ne se soit pas assez servi de mes idées…Et c’est à moi qu’on fait des affiches “Kita, fous le camp !” “Sale Polak !”
On vous critique parce que vous êtes d’origine étrangère ?
C’est la première raison. Il y a même un ancien international français qui m’a dit que je ne pouvais pas réussir à Nantes parce que je n’étais pas nantais mais étranger. Il y a aussi le président de l’association “À la nantaise”, Le Teuff, qui
m’en a mis plein la gueule en disant : “J’ai eu la peau de Dassault, j’aurai la tienne. Sale Polak, dégage de là!” Il m’avait même appelé à l’hôpital pour me menacer…
Vous regrettez d’avoir repris Nantes ?
Je ne peux pas dire que je regrette.Mais, avec le recul, je pense que je m’y serais pris différemment. Jean-Claude Darmon m’avait dit: “Waldemar, méfie-toi. Prends un petit club, ne commence pas par Nantes, c’est trop compliqué.” Je pense qu’il avait raison.
Et vos enfants, ils en pensent quoi de cet héritage qui fout le camp ?
C’est mon héritage avant d’être le leur. Moi, on ne m’a pas donné un euro. Et puis, il n’y a pas que l’argent dans la vie.Mais tout le monde m’a freiné, y compris ma femme.
Parce qu’on ne gagne pas d’argent dans le foot ?
Mais je ne suis pas venu dans le foot pour gagner de l’argent. Je savais qu’il fallait en mettre un peu, mais je ne savais pas qu’à Nantes il fallait en mettre autant. Personne ne vous aide. Ni la Ville, ni la région. C’est dommage. Parce que si demain je m’en vais, Nantes, c’est fini ! C’est la DH.
Franchement, pourquoi rester ?
Vous êtes dans une société juridique, et la seule chose possible, c’est déposer le bilan. On ne peut pas partir comme ça. Il y a le respect de la loi, mais aussi celui des gens avec qui je travaille. Je respecterai mon engagement jusqu’au bout.
À part le dépôt de bilan, il y a l’option de revendre le club…
Vous pensez qu’avec tout l’argent que j’ai mis et tous les problèmes qui sortent dans la presse, il y a quelqu’un qui veut reprendre Nantes ? Les propositions, c’est: “Je prends le club, vous continuez à payer et je vais vous gérer le club.” Je me suis assez fait avoir comme ça, et en plus on me propose ça…
Vous êtes bloqué, en fait !
Je suis prisonnier du FC Nantes ! Mais il y a un moment où je vais péter les plombs. Je me connais, ça peut arriver d’une minute à l’autre. Il suffit d’un rien.
L’orgueil aussi vous fait rester ?
Non, le principal, c’est le club. Si, demain, j’estime que quelqu’un est capable de continuer dans le même état d’esprit, pas de problème.
À quoi va ressembler la prochaine présidence Kita ?
Je pense que je vais imposer une règle, une certaine organisation, une discipline fonctionnelle quotidienne. Il faut qu’elle soit respectée. Si elle ne l’est pas, les gens qui ne sont pas d’accord avec ça partiront. De toute façon, plus les gens souffrent, meilleurs ils sont.
Vous n’avez jamais eu envie de vous appuyer sur les anciens du club?
Il y a longtemps que j’ai essayé de le faire. Seulement, les gens n’ont pas envie. Et ce n’est pas à cause de Kita. Ils en ont assez de tout ça.
Ils ont pourtant l’amour du FC Nantes…
Tu peux être amoureux de ta femme à soixante-quinze ans et ne pas lui faire l’amour.
Vous avez parfois l’impression de dégager une image folklorique ?
Oui, mais c’est l’image que me donnent les médias. C’est dommage, mais ça ne m’empêchera pas de continuer d’avancer avec mes idées. Je suis solide.
Vraiment ?
Le football n’entrave pas ma vie professionnelle ou privée.
■ D. A. ET O. B.